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Le mot modernité existait avant Baudelaire, chez Balzac ou Chateaubriand ; en allemand, il était
 péjoratif ; en anglais, il était positif ; mais c’est Baudelaire qui lui a donné ses lettres de noblesse et qui nous l’a transmis, pour le meilleur et pour le pire.
Car cette « modernité » baudelairienne est difficile à saisir, compliquée, retorse, ambiguë ! Son incohérence a parfois été signalée, Walter Benjamin, le respecté penseur allemand de l’entre-deux-guerres, allait jusqu’à s’en débarrasser avec désinvolture : « On ne peut pas dire que nous ayons là une analyse en profondeur », disait-il. « La théorie de l’art moderne est le point faible dans la conception baudelairienne de la modernité. »
Baudelaire lie la modernité à la mode, qui change tout le temps : il s’agirait de la dégager de la mode, comme on extrairait de ce qui est éphémère, fugitif, transitoire, quelque chose qui mériterait de durer, qui serait digne de l’antiquité, voire de l’éternité. Les modes passent, se renouvellent chaque saison, mais il revient à l’artiste d’apercevoir ce qu’il reste en nous de grand, de poétique, d’héroïque, et de le représenter, de l’immortaliser. L’art doit « arracher à la vie actuelle son côté épique », comme Baudelaire le disait dès le Salon de 1845 (II, 407), car c’est pour lui une idée de toujours. L’artiste moderne s’intéresse à son temps au lieu de lui tourner le dos comme les néo-classiques et les académiques. C’est ainsi que Stendhal définissait le romantisme, en faisant valoir que le monde avait tellement changé depuis la Révolution que l’on ne pouvait plus donner les mêmes œuvres au public. La modernité serait donc, dégagée de la mode, ce qui vaut de durer.
Toutefois, Baudelaire la présente ensuite autrement, comme l’autre face inséparable de la beauté. Toute beauté, dit-il, est double, et la modernité est à présent assimilée à son élément transitoire, fugitif ou contingent, par opposition à son élément éternel et immuable. D’une phrase à l’autre, la modernité désignerait donc à la fois ce qu’il y a d’impérissable et ce qu’il y a de périssable dans le présent. Or, c’est sur le premier sens que Baudelaire revient encore, mais en rendant les choses plus confuses, puisque, si le durable est prélevé de la mode, alors c’est toute la mode qui devient elle-même précieuse.
Sans doute ne convient-il pas d’exiger trop de rigueur d’un poète qui observait les balbutiements du monde moderne. Et, même si l’abondance des adjectifs nominalisés dénote le style philosophique, Baudelaire n’était pas un logicien. On se rappelle l’une de ses pensées : « Parmi les droits dont on a parlé dans ces derniers temps, il y en a un qu’on a oublié, à la démonstration duquel tout le monde est intéressé, — le droit de se contredire » (I, 709).
Une conclusion reste pourtant certaine : avec sa modernité, Baudelaire résiste au monde moderne, industriel, matérialiste, américanisé, comme il dit, et à sa tendance au renouvellement incessant de toutes choses, rendues désuètes aussitôt qu’elles sont produites. Or ce mouvement inéluctable affecte aussi l’art, transformé en articles de mode et en marchandises. Baudelaire fut l’un des premiers observateurs de l’accélération de l’art et de sa transformation en marché, et il cherche à maintenir, contre la fuite dans le temps, demain éliminant aujourd’hui, une permanence de la beauté. La modernité de Baudelaire, c’est une résistance au monde moderne où tout devient périssable ; c’est la volonté d’en conserver et transmettre quelque chose de durable.

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